Sixième journée d'étude du réseau ModerNum, organisée le 23 avril 2021 sur Zoom
Comité organisateur: Colin Dupont, Nicolas Duriau, Laure Fagnart, Valérie Leyh, Julien Régibeau et Matthieu Somon.
Comité scientifique: Elisabeth Aydin, Annick Delfosse, Gwendoline de Meûlenaere, Colin Dupont, Nicolas Duriau, Laure Fagnart, Valérie Leyh, William Riguelle, Matthieu Somon et Nicolas Simon.
En 1785, l’affaire du collier de Marie-Antoinette cause définitivement la perte de Cagliostro, alias Giuseppe Balsamo, qui s’était forgé une grande réputation de magicien dans toute l’Europe. Sa chute aggrave celle de la reine en France, malgré son innocence dans ce scandale. La même année, Casanova s’installe au château de Dux. Plus tard, il y rédigera son Histoire de ma vie, dont la lecture trahit désormais, à l’heure d’une dénonciation des violences faites aux femmes, moins un personnage éclatant qu’un infâme Don Juan. Le discrédit de la reine et du magicien aux Temps Modernes nous révèlent ainsi combien la réputation ne procède jamais d’un « consensus » objectif et consiste, selon les espace-temps, en un processus au contraire « muable » et « controversé » (Cavaillé, 2013, p. 206). Si notre regard actuel interroge ou remet en question le renom dont ont historiquement joui certaines de ces fameuses figures, il nous autorise, dans le cas de Casanova, à réévaluer tout entière la réputation des Lumières, encore largement associées au culte univoque de la raison, sinon des libertés, notamment d’expression.
Contrairement à la « fame » médiévale, la « réputation » des Temps Modernes ne dépend plus seulement d’actes ou de paroles qui les colportent dans une dimension locale et collective, mais aussi de l’imprimé, soit d’un nouveau mode de circulation et de reconnaissance de ces derniers. Cette « importance » médiatique que prennent « l’honneur et […] la réputation dans les sociétés d’Ancien Régime » (Drécourt, 2019, p. 25) nous permet non seulement d’aborder, selon les logiques sociales et réputationnelles qui les sous-tendent, leur fonctionnement, mais aussi les « dispositifs » (Chauvin et al., 2015, p. 5) ou les formes de contrôle auxquelles elles sont soumises.
Dans le cadre de sa prochaine journée d’étude, ModerNum souhaite ainsi reconsidérer la « fabrique des réputations » (Lilti, 2019, p. 186) aux Temps Modernes. Il s’agira notamment d’étudier leurs « mécanismes » (Becker, 1988, p. 362) ou modalités de (dé)construction (par la rumeur ou l’injure, entre autres) et de circulation ; leurs implications sociales et leurs relations avec le pouvoir ainsi que leurs causes, voire leurs conséquences juridiques. Apparemment moins restreint que d’autres types de notoriété, comme le sont la « gloire » ou la « célébrité » (Lilti, 2014, pp. 12-14), le concept de réputation, qui « permet d’attacher un poids, des valeurs et des qualités à un paysage indifférencié de biens, d’idées ou de personnes » (Origgi, 2013, p. 106), nous engage tant à (ré)évaluer le sujet moderne à travers les yeux et les dires de ses contemporains, qu’à mettre en lumière les jugements aujourd’hui portés sur la modernité.
Puisque les réputations sont par définition « provisoires » et « localisées » (Chauvin, 2013, p. 132), notre journée d’étude cherche en outre à rendre compte, en diachronie comme en synchronie, du positionnement critique adopté par les historien·ne·s – en ce compris de l’art et de la littérature – à l’égard de la notion de modernité, depuis ces cinquante dernières années. Comment, depuis l’entrée de la société « dans l’âge dit post-industriel » ou des cultures « dans l’âge dit postmoderne » (Lyotard, 1979, p. 11), notre regard a-t-il ou non changé sur les Temps Modernes, dont les aspirations universalistes – ou, pour ainsi dire, occidentales – et progressistes sont déjà fortement critiquées depuis la publication de La Dialectique de la raison (Horkheimer et Adorno, 1974) ? À titre d’exemple, comment la légende noire espagnole, inspirée de la politique impérialiste qu’a mise en place Philippe II, est-elle aujourd’hui perçue ? Qu’en est-il encore de l’historiographie de l’art de l’Europe du Nord, durablement marquée par le premier dialogue sur la peinture de Francisco de Holanda ? Faut-il à présent condamner les écrivains libertins pour avoir édifié leur imaginaire sur une misogynie systématique ou, plutôt, leurs exégètes pour avoir occulté, sous les attraits d’une tradition littéraire et libertine, une culture du viol « à la française » (Rey-Robert, 2019) ? Procédant d’une « épistémologie de la réputation » (Origgi, 2013, p. 106), tel est le regard exploratoire que nous nous proposons de porter sur l’« héritage d’un autre temps » (Lilti, 2014, p. 20).
Le programme est consultable ici.
Inscription gratuite via ce formulaire.
Contact: modernum.info@gmail.com